vendredi 21 mai 2010

"Tagore est devenu la voix de l’héritage spirituel indien"

Le début d’une année entière de célébrations en l’honneur du 150ème anniversaire de Rabindranath Tagore, le 7 mai de l’année prochaine, a récemment été lancée en Inde. Mais le plus bel hommage que ce demi-dieu du Bengale puisse recevoir est l’engouement qu’il continue à susciter auprès des jeunes générations.

Pour Pranab Mukherjee, ministre des finances, Rabindranath Tagore est "l’homme indien le plus célèbre dans le monde". Il est vrai que le fameux compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosophe bengali, né le 7 mai 1861, a prouvé au monde entier le pouvoir et la puissance de sa plume à travers ses grandes œuvres littéraires, mais aussi ses compositions musicales.

Tagore en a écrit plus de 2000, réunis sous le nom de Rabindra Sangeet, des chants presque élevés au rang du sacré, qui s’inspire de la musique folk traditionnelle et de la musique classique indienne. Ce corps de chants contiendrait les connaissances d’environ cinq cent ans de littérature et de culture. "Pour le monde, Tagore est devenu la voix de l’héritage spirituel indien. Pour l’Inde, et en particulier pour le Bengale, il est devenu une institution vivante", déclare Arun Chanda, du duo Dr. Chef, un groupe de musique expérimental d’inspirations variées, qui explore les genres musicaux.

Une "institution" qui résonne toujours dans le cœur et la tête de tous, en se jouant des années qui passent et des générations qui se succèdent. Une "institution" qui défit le risque de voir son riche et précieux héritage disparaître lentement de la surface de la société, et des remous de sa mémoire collective.

Car Tagore et ses chants sont aujourd’hui "à la mode" en Inde. Modernes et variés, "ils couvrent tous les aspects de la nature, de la vie humaine et de ses émotions, que ce soit nos rêves et désirs, espoirs et aspirations, joies et vœux, succès et échecs". Une tendance assumée, sorte de responsabilité historique assurée, d’abord par les "puristes" du Rabindra Sangeet. Très disciplinés, ces farouches protecteurs de l’art traditionnel chantent a capella, ou seulement accompagnés d’un tanpura, harmonium ou tabla. En parallèle, ce sont les interprètes célèbres et groupes de jeunes musiciens qui parviennent le mieux à maintenir vivant les chants de Tagore. Depuis la levée en 2001 du copyright sur ses œuvres musicales, ils adorent improviser, créer, expérimenter et réinventer, chacun à leur manière.

Ce véritable engouement participe à l’intégration progressive de chants mystiques à la musique populaire indienne. Le célèbre groupe folk Bhoomi, du Bengale, a par exemple repris quelques morceaux du Rabindra Sangeet, déjà un peu folk par nature. Ils en ont modifié les arrangements, pour mieux toucher les jeunes générations tout en conservant l’esprit d’origine de la chanson. Le chanteur Shubhankar Banerjee a quant à lui sorti Songs of Tagore Unplugged, un album contemporain qui reprend des chants de l’érudit bengali, et dans lequel l’instrumentation moderne offre une alternative sonore apaisante et unique. Selon Arun Chanda, il est même possible d’ajouter une touche de "blues, jazz, reggae, country, folk ou rock, qui ne fait qu’enrichir le chant original, en ajoutant plus de couleurs et de dimensions à un morceau déjà magnifique".

Le Rabindra Sangeet séduit aussi Bollywood, la première industrie cinématographique mondiale pour laquelle les séances de chants et de danse sont essentielles. Tagore apparaît ainsi dans le film à succès Parineeta (2005), avec la chanson "phuley phuley", reprise sous le nom de "piyu boley". Quant au chant "tomar holo shuru", il fait se rencontré deux légendes indiennes ; il est en effet utilisé sous le nom de "chhukar merey man ko" dans Yaraana (1981), dont le héro est le grand Amitabh Bachchan.

D’autre part, il y a énormément de chants par Tagore directement influencés par la musique occidentale, qui peuvent ainsi être facilement adaptés par des groupes de musique, en utilisant une combinaison de quelques instruments modernes, tels des instruments à cordes, des percussions, violoncelle, guitare, tambour, piano, saxophone ou encore flûte, accompagnés d’un chant harmonieux. "Cela peut créer quelque chose de nouveau et original, qui peut vraiment être sympa si les arrangements sont bien effectués et ne s’éloignent pas trop du ton et l’esprit du chant initial".

De cette façon, Tagore et sa musique continuent de toucher toutes les générations, en un héritage précieux que font sans cesse revivre les jeunes groupes et chanteurs d’aujourd’hui, des liens indispensables, sorte de passerelles entre le Rabindra Sangeet et le monde contemporain. "Quelque chose de créatif, en harmonie avec la version originale et acceptable pour les oreilles n’est pas pour moi un sacrilège". Mais jusqu’où peut-on aller dans la reprise des œuvres de Tagore ? Peut-on par exemple envisager, craindre ou espérer, selon, une version métal de chants élevés au rang du sacré ? "Pour le moment il n’en existe pas, mais je n’écarte pas cette possibilité. Si l’esprit de la chanson est respectée, pourquoi pas ?"

Devendranath Tagore, père du demi-dieu du Bengale, avait vu juste lorsqu’il a déclaré, à la naissance de son quatorzième fils: "Il s’appellera Robindra, le soleil. Comme lui, il ira par le monde et le monde sera illuminé". Longue vie Rabindranath Tagore !

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/home.asp)