vendredi 4 juin 2010

"La nuit aux étoiles" ou les dessous cruels de Bollywood

L’industrie cinématographique de Bollywood est un emblème de l’Inde, sans doute le plus universellement connu. L’auteur à succès Shobhaa Dé prend le parti d’en peindre les coulisses, un univers glauque dans lequel tente de survivre la jeune actrice Aasha Rani.

Aasha Rani est une étoile brisée. Jeune fille originaire de Chennai (sud), elle a d'abord brillé de mille feux à Bombay, puis s'est laissée lentement dérivée, grisée, au firmament trompeur de Bollywood. Son conte dénué de féérie lève le voile sur l'envers de la première industrie cinématographique mondiale, faite de paillettes tapageuses, de désillusions, d'amour dénué de sentiments, un royaume tenu d'une main de fer par des maquereaux rois du cinéma, dont les relents âcres de "whisky bon marché, de kebabs pleins de graisse et d'oignons fris" en ont anéanti plus d'une.

La nuit aux étoiles est le dernier roman de Shobhaa Dé, romancière indienne engagée et célèbre à travers le monde. De façon cru et parfois brutale, elle casse le "mirage Bollywood" qui fascine, séduit et hypnotise l'écrasante majorité des jeunes filles en Inde. En fait un endroit pourri tenu par de la vermine masculine qui n'hésite pas à profiter des jeunes débutantes, dont les premiers pas à Bombay leur apprendront à oublier leur corps dans les mains de n'importe quel producteur ou réalisateur peu scrupuleux, sans garantie que la "promotion canapé" les propulsent un jour au sommet.

"C'est au lit que tout se décide"

Kishenbhai, producteur à petits succès, est le premier à avoir profité de la jeune Viji, quinze ans, 90 de tour de poitrine : "une fille de Madras, un peu gauche, disgracieuse, avec quelques kilos en trop. Et trop noir de peau ! Chee !" Progressivement, de lits en lits et de producteurs en producteurs, la nouvelle nommée Aasha Rani deviendra malgré tout une star adulée de Bollywood. Un énorme succès méthodiquement calculé par sa mère, amma, depuis le jour où leur père, appa, célèbre producteur de films à Madras, abandonne sa famille pour se réfugier dans les jupons d'une jeune "poupée". Dès lors, Aasha Rani subit le maquillage à outrance, les soirées en compagnie d'hommes douteux, puis les films porno dans lesquels amma la force à jouer alors qu'elle n'a même pas douze ans.

Arrivée au pinacle de sa gloire, l'envoûtante Cendrillon aux gros seins commet néanmoins l'erreur de sa carrière lorsqu'elle tombe éperdument amoureuse d'un prince de pacotille, Akshay Arora, qui l'utilise pour tenter de redonner un souffle à sa vie professionnelle. Alors qu'elle subit les affres de son amour pour le "tombeur de Bollywood", qui va la pousser à abandonner le cinéma, Aasha Rani trouvera finalement une relative stabilité émotionnelle en Nouvelle-Zélande. De retour quelques années plus tard en Inde, elle se retrouve nez à nez avec des affiches sur lesquelles pose sa jeune sœur, Sudha, égoïste et jalouse du succès de son aînée, qui se transformera en sa pire ennemie.

"J'aurais pu raconter d'autres histoires"

Pendant plus de dix ans, Shobhaa Dé a été rédactrice en chef de Stardust, un magazine populaire indien consacré au cinéma. Une fonction stratégique, qui lui a permis d'observer et de pénétrer l'univers intrigant de Bollywood. "J'aurais pu raconter d'autres histoires. J'ai choisi celle d'Aasha Rani, tour à tour vulnérable et manipulatrice, parce qu'elle m'a semblé particulièrement intéressante à raconter. C'est avant tout une histoire de sexe et de survie à Bollywood", a déclaré l'écrivain à succès lors de son passage en France, en mars dernier, pour y faire la promotion de La nuit aux étoiles.

Même si le roman est corrosif, bercé de désillusions et d'obstacles d'un bout à l'autre, la figure fascinante de l'héroïne et son combat pour rester elle-même dans la jungle de Bollywood rend la trame captivante, et offre une démystification intéressante de cet univers. Un envers du décor que chacun gardera à l'esprit.

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/home.asp)

mercredi 2 juin 2010

L’Hindutva veut s’inviter au sein des écoles chrétiennes de Mumbai

La récente proposition de la corporation municipale de Mumbai (BMC) d’introduire la "culture" hindoue au sein des écoles chrétiennes provoque indignation et opposition dans l’univers éducatif.
Les écoles chrétiennes de Mumbai ont décidé de s'opposer à la proposition des autorités civiles du Maharashtra (sud) d'introduire l'Hindutva, autrement dit le "mode de vie hindoue", dans les écoles missionnaires de la capitale de ce vaste Etat.

C'est la BMC qui a présenté cette nouvelle proposition, mardi de la semaine dernière. Tandis que les écoles chrétiennes de l'Etat reçoivent une aide financière de la part de cette corporation, la suggestion a eu l'effet d'une bombe au sein des établissements missionnaires de la capitale économique indienne.

Sans surprise, c'est une coalition de droite hindoue surnommée "saffron combine", comprenant le Shiv Sena ainsi que le premier parti d'opposition en Inde, le Bharatiya Janata Party (BJP), qui est à la tête de la BMC. La proposition est actuellement examinée par le gouvernement Congrès de l'Etat du Maharashtra.

"[…] Beaucoup de membres de la corporation ont observé que tandis que ces écoles demandaient de l'aide à la BMC, elles ne respectaient pas les traditions hindoues. Si ces missionnaires viennent ici pour enseigner, ils devraient s'y conformer, dans la mesure où la majorité de leurs étudiants sont de cette religion […]" a déclaré Rukmini Kharatmol, président du comité d'éducation, cité dans The Times of India.

Le secrétaire général du conseil d'éducation de l'Archidiocèse (Abe), Gregory Lobo, a pour sa part défendu que les écoles chrétiennes promouvaient le respect de toutes les croyances, et qu'il n'y avait par conséquent pas lieu de mettre l'accent sur une foi en particulier. Pour les parents et la communauté universitaire, cette volonté d'introduire en force la culture Hindutva est inconstitutionnelle et injuste. L'Abe, qui gère les 150 écoles chrétiennes à l'intérieur et autour de Mumbai, se prépare donc maintenant à porter l'affaire devant la Justice.

Les quelques mesures phares sont par exemple l'apprentissage des traditions hindoues, l'augmentation du nombre de jours fériés pour la célébration de fêtes religieuses (comme Ganpati et Diwali), ou encore la permission donnée aux étudiants de porter des vêtements en relation avec l'hindouisme, ainsi que des bracelets, des bindis et du henné.

Une autre requête du "saffron combine" est la rédaction en marathi de toutes les communications entre les écoles missionnaires et la corporation municipale de Mumbai. Si cette mesure est intéressante à relever, c'est qu'imposer dans toutes les couches de la société la langue officielle du Maharashtra a toujours été le cheval de bataille du Shiv Sena. Une campagne plutôt contradictoire lorsque l'on sait que la majorité de leurs leaders, ainsi que plusieurs du BJP, préfèrent envoyer leurs enfants étudier dans de prestigieux établissements anglais, et non pas dans des écoles marathies.

Mais les demandes ne s'arrêteront pas là ; le comité d'éducation de la municipalité du Maharashtra a annoncé qu'il écrirait bientôt au ministère de l'Education nationale pour obtenir l'autorisation de renforcer et élargir sa liste de mesures.

Les deux partis hindouistes semblent donc déterminés à s'imposer au sein d'établissements placés sous la bannière d'une religion minoritaire, qui ne devrait pas avoir droit de résidence en Inde selon eux.

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/home.asp)