vendredi 28 mai 2010

Un marché qui embaume les rues de la capitale indienne

A Baba Kharak Singh Marg, en face du temple du dieu singe Hanuman, a lieu chaque matin un marché où virevoltent des pétales dans tous les sens. Laissez-vous porter, le temps d’un papier, par les fragrances inédites du marché aux fleurs de Connaught Place.

Il est exactement 7h, heure locale, dans la capitale indienne. Cela fait deux heures que le célèbre tube de Jacques Dutronc aurait pu retentir à Connaught Place. Car ici, précisément en face du Hanuman Mandir, c’est à 5h que le marché aux fleurs s’éveille.

Selon la rumeur qui circule, ce marché, créé en 1995, serait le plus grand dans son genre en Asie. Mais Manoj Bhagra, grossiste, n’est pas dupe : "Au commencement, nous n’étions qu’une dizaine, puis le marché a rapidement grandi, et nous sommes maintenant plus de 500. C’est le plus grand marché aux fleurs en Inde, mais pas en Asie". Ses fleurs lui viennent du Karnataka (Bangalore), Maharashtra (Pune), de Thaïlande et de Chine. "Je vends surtout des lys et des œillets, mais j’ai aussi des roses et des orchidées".

Manoj a l’oreille constamment collée à son téléphone portable. Il nous fait comprendre que vendre des fleurs ici est une affaire sérieuse. S’il n’a pas voulu divulguer le montant de ses revenus, il avoue que ce métier lui permet de faire vivre toute sa famille "très confortablement". C’est auprès de Sumit Chachan, jeune vendeur dont le stand se situe à quelques roses de là, que nous prenons la mesure du train de vie possible d’un grossiste ici : "Mon chiffre d’affaire s’élève à environ 20 lakhs par mois (34 000 euros)". Ses clients sont des grands hôtels, fleuristes, décorateurs, entreprises, banques et autres bureaux gouvernementaux. A cette somme vient encore s’ajouter ce que Sumit gagne en tant que gérant de son propre magasin de fleurs dans la capitale, c’est-à-dire entre 10 et 12 lakhs par mois (de 17 000 à 20 000 euros).

Le jeune homme d’affaire n’est pas le seul à cumuler plusieurs casquettes. Shama Abhinkar, qui nous est présentée par Manoj comme étant sa "meilleure cliente", en porte elle-même trois. D’abord, même si elle est dans le commerce floral depuis 20 ans, Shama continue d’exercer en parallèle son métier de fonctionnaire, chaque jour, après 9h. Ensuite, elle est grossiste à Connaught Place. Elle importe notamment des œillets, gardénias et lys, en provenance des environs de Shimla (nord). Enfin, sa principale activité est l’achat de fleurs en gros, à son ancien associé Manoj, qu’elle revend par la suite à de grands groupes. D’ailleurs son meilleur client est le site matrimonial de rencontres Shaadi.com, qui s’approvisionne auprès d’elle pour organiser d’importants mariages en Inde.

Le marché aux fleurs de Baba Kharak Singh Marg n’est pas le seul existant dans sa catégorie à Delhi. Tout comme celui se situant à Fatehpuri, dans le nord, il est temporaire, tandis que celui de Mehrauli, dans le sud, est permanent. Seulement, une menace pèse sur ces trois marchés. "Cela fait dix ans que le gouvernement tente de les supprimer, pour créer un marché unique, permanent et convenable à Ghazipur", qui se trouve à une dizaine de kilomètres de là, annonce Manoj.

"Le nouveau marché ne va créer que des problèmes. Il est trop loin de Delhi, et le coût des transports se fera durement ressentir, sur nos finances comme sur la qualité de nos fleurs", explique Sumit. "Je ne veux pas aller là-bas", déclare simplement Shama.

L’avenir du marché aux fleurs de Connaught Place est donc en suspens. Mais pas de quoi effrayé Manoj : "Pendant quinze ans, mes affaires ont très bien marchées. Ce n’est pas Ghazipur qui m’empêchera de continuer ainsi pour les quinze prochaines années". Un relativisme à l’indienne décomplexé, toujours apprécié en ces temps d’incertitude.


Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/home.asp)