mercredi 21 avril 2010

Nettoyage de printemps musclé à Jantar Mantar

L’observatoire construit au XVIIIème siècle à New Delhi est célèbre pour accueillir chaque jour des manifestations de toute sorte. Alors que des personnes résidaient aux alentours, de façon précaire depuis plus de cinq ans, les forces de l’ordre jeudi dernier ont totalement redessiné le paysage urbain, situé à deux pas de Connaught Place.

Seuls quelques slogans scandés par des partisans du Bharatiya Janata Party (BJP), protestant contre l'augmentation des prix du lait, viennent troubler l'étrange calme du Jantar Mantar en ce début de weekend. Alors qu'il y a moins d'une semaine, des centaines de tentes masquaient encore les trottoirs aux pieds de l'observatoire, les forces de l'ordre ont "fait le ménage" le 18 mars à l'aube, délogeant les habitants, détruisant leurs camps de fortune et confisquant leurs biens pour les reconduire plus légèrement à la gare.


"Après en avoir discuté avec le Conseil Municipal de New Delhi (NDMC), nous avons supprimé les habitations illégales au Jantar Mantar, en indiquant aux squatteurs qu'ils pouvaient tout à fait manifester durant la journée mais qu'ils devaient impérativement quitter les lieux à la fin de leurs protestations. Aucune construction temporaire ne sera plus autorisée dans les environs jusqu'à la fin des Jeux du Commonwealth," a déclaré un policier du district de New Delhi, cité dans The Times of India.

Cette opération, lancée juste après celle contre les mauvaises habitudes des habitants de la capitale, s'inscrit donc dans le contexte des Jeux qui se dérouleront à partir de l'automne prochain en Inde. Elle démontre la volonté ambitieuse du gouvernement indien de supprimer pendant cette période les logements provisoires qui encombrent carrefours et trottoirs dans les endroits stratégiques de la ville, et qui constituent une menace à sa bonne réputation auprès des hordes de touristes étrangers.

Dilhara Begun, originaire du Bihar, habite ici depuis quatre ans. "Je dormais paisiblement avec mon fils quand j'ai entendu des bruits ; il était à peu près cinq heures du matin. Les policiers nous ont donné des coups pour que nous sortions. Ils ont ensuite détruit nos deux chambres et nous ont pris toutes nos affaires," explique-t-elle. Dilhara vocifère ouvertement et vertement contre la police, dont des agents sont pourtant postés à deux pas, tout en pointant les bleus qui affublent ses bras ainsi que ceux de son fils.

Elle et son frère, Sikander Khan, étaient en outre connus pour avoir monté un commerce très lucratif au Jantar Mantar. Ils écrivaient par exemple des pétitions revendues ensuite aux manifestants, comme le rapporte The Hindustan Times. Cependant, Dilhara est restée muette sur ce sujet, déclarant simplement que Sikander continue à vendre des légumes, un peu plus loin en remontant la rue.

Balmik Mandel, originaire du Bengale occidental et habitant de l'observatoire depuis 2002, prend alors la parole : "Après avoir détruit les tentes, ils ont pris cinq cent personnes et les ont emmenées à la gare pour qu'elles rentrent dans leurs Etats d'origine, où rien pourtant ne les attend." Il ajoute : "Je dormais moi aussi et ils m'ont battu pour me réveiller, regardes mes lunettes !" En effet, le verre du côté gauche n'est plus, et la branche est brisée, tordue.

Pour le moment, les "réfugiés" du Jantar Mantar occupent une ruelle située à côté du Gurudwara le plus proche. Quelques irréductibles ont bien tenté de s'installer à nouveau pour la nuit sur les trottoirs autrefois hospitaliers, mais la police veille et les en a aussitôt chassés.

Reste maintenant à savoir si cette interdiction tiendra jusqu'au lancement des Jeux, et survivra à leur fin. Rien n'est moins sûr. L'anéantissement de l'agitation nocturne autour de l'observatoire aura néanmoins fait des heureux du côté des amoureux du patrimoine historique ; ironiquement, ils étaient eux-mêmes devenus manifestants, contre ceux qui menaçaient selon eux la conservation du monument.

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/)