mercredi 21 avril 2010

Des vendeuses de bijoux au coeur du mirage des sables à Goa

De septembre à mai chaque année, elles sont une légion à arpenter des plages idylliques, légèrement déséquilibrées par leurs lourds sacs aux imprimés flashy de Bollywood qu’elles transportent précieusement. Ce qu’ils recèlent ? Une marchandise scintillante destinée à de jeunes touristes occidentales venues lézarder langoureusement sur leurs transats, les pieds dans la mer d’Arabie.

C'est la fin de la saison touristique à Goa. Il est midi et le soleil rayonne d'une intensité qui annonce déjà les grandes chaleurs des mois à venir. Parmi les quelques touristes aux corps ultra huilés qui peuplent tout de même la plage, deux ombres aux contours imprécis se dessinent au loin.

Geeta et Lola ont respectivement dix-neuf et dix-sept ans. Elles marchent sans lourdeur, tandis que leurs multiples bracelets colorés s'entrechoquent régulièrement. Originaires de Hampi (Karnataka), elles sont vendeuses de bijoux à Palolem (sud de Goa), petit écrin de paradis coincé entre des hordes de palmiers touffus et l'écume salée de la mer.

Lola a d'abord travaillé pendant quatre ans à Benaulim avant d'arriver en 2006 à Palolem. C'est donc depuis l'âge de neuf ans qu'elle foule sans relâche le sable brûlant pour vendre bijoux, manucures ou tatouages au henné : "C'est moi qui ai décidé de faire cela," déclare-t-elle, son profond regard ébène étincelant de fierté. Elle précise ensuite : "Si je travaille ici, c'est uniquement pour payer l'éducation de mes deux petits frères."

Cependant, elle nous explique que gagner de l'argent est de plus en plus difficile : "2010 fut une très mauvaise année comparée à 2006. Il y a quatre ans, on faisait entre 2 000 et 3 000 roupies la journée (30 et 50 euros), alors que maintenant, c'est plus de l'ordre de 100 à 500 roupies (2 et 8 euros)." Ainsi cette année, son chiffre d'affaires total s'élèvera à environ 8 000 roupies pour neuf mois de travail (130 euros), auquel il lui faudra encore retirer le loyer de sa petite cabane tout comme le pourcentage qu'elle reverse à l'homme qui lui fournit les bijoux.

Savita, également vendeuse à Palolem, nous confie, du haut de ses quatorze ans : "Je n'aime pas faire cela. J'ai commencé à l'âge de huit ans parce que mes parents m'y ont obligé. Je n'ai pas eu le choix, il fallait bien gagner de l'argent." Sa compagne de travail, Tiffee, a vingt-et-un ans, un regard dur, un ton neutre et le sourire inexistant. Elle accepte de se confier un peu: "C'est très dur. En temps normal, c'est à la période de Noël que l'on gagne le plus, mais cette année, décembre fut très calme."

Ce déclin notable est sans nul doute lié à la crise économique qui a touché de plein fouet les pays occidentaux, principaux fournisseurs de chair touristique à l'Inde, et la Russie en particulier, dont les ressortissants forment une majorité écrasante à Goa. A cela vient s'ajouter un phénomène de migration intérieure qui a vu de nombreuses jeunes filles affluer, faisant alors considérablement augmenter la concurrence entre les vendeuses.

Alors pour son futur, Lola a déjà tout planifié : "Après mon mariage, j'aimerais ouvrir mon propre magasin sur la plage, et continuer à vendre des bijoux. Mais cela dépendra de mon mari bien sûr, s'il est riche ou non !" Elle part dans un grand éclat de rire puis ajoute, plus sérieusement : "Je ne veux pas de mariage d'amour, mes parents choisiront. La seule chose que je souhaite c'est attendre d'avoir vingt ans pour me marier."

C'est la fin de la saison touristique à Goa. Alors que le soleil décline au large, les jeunes femmes des sables expliquent qu'elles vont bientôt retourner chez elles, au Rajasthan ou au Karnataka, pour y patienter durant la période des moussons. Elles y resteront de trois à six mois, travailleront dans des fermes ou rizières avant de reprendre leur lancinant parcours dans les sillons mouvants, au pied des vagues. Tiffee remercie d'écrire sur ce qu'elles font. Puis elle conclue, de façon naturelle: “Please, make me happy today Madam: see my jewellery.”

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/)