mercredi 28 avril 2010

Un Watergate indien qui pourrait bien ébranler le Parti du Congrès

La colère des partis politiques d’opposition risque de créer des vagues de contestation ces prochains jours au Parlement. La raison de leur courroux ? Un rapport, rendu publique aujourd’hui, qui révèle que les téléphones portables de certains politiciens ont été secrètement mis sur écoute par le gouvernement de Manmohan Singh.

Il agite déjà la controverse au sein des hautes sphères gouvernementales. Le rapport, rendu publique dans le magazine Outlook daté de cette semaine, révèle que les téléphones portables d’hommes politiques indiens haut placés ont été mis sur écoute par le gouvernement, leurs conversations méticuleusement enregistrées.

Précisément, c’est l’organisation nationale pour la recherche technique (NTRO) qui a mené l’opération controversée, rappelant celle du Watergate dans les années 1970 aux Etats-Unis. Elle visait notamment les échanges téléphoniques des leaders de l’opposition, à propos de la motion de non-confiance pour l’accord sur le nucléaire entre l’Inde et les Etats-Unis (juillet 2008), ou encore des stratégies du Front de gauche pour renverser le gouvernement de Manmohan Singh.

Par conséquent, des responsables, comme Prakash Karat, secrétaire général du Parti communiste indien (marxiste), le CPI(M), ont été pris pour cible. Mais l’espionnage touche aussi des membres du parti au pouvoir. Des échanges téléphoniques de Digvijay Singh, secrétaire général du parti du Congrès, ont par exemple été enregistrés. D’autre part, les discussions entre le ministre de l’agriculture, Sharad Pawar, et le président de la Première Ligue de Cricket indienne (IPL), Lalit Modi, ont été attentivement décryptées et archivées ces quinze derniers jours, avant que n’éclate le scandale de l’IPL. Des enregistrements qui auraient apparemment servis à faire pression sur Pawar, pour appeler Modi à la démission.

"Big Brother"

Il faut remonter à 2005 pour comprendre comment le NRTO, agence de renseignement créée après la guerre du Kargil (1999), a pu se doter des technologies nécessaires pour mener cette opération d’espionnage. A cette époque, l’Inde commence timidement à rattraper la révolution des communications qui avait bouleversé le monde dix ans plus tôt. Peu à peu, les services de renseignement indiens accumulent des compétences pour intercepter des conversations de téléphones cellulaires et fixes, SMS, e-mail, chats et toutes autres formes de transmissions électroniques.

Finalement, les téléphones portables des responsables politiques visés dans cette affaire ont été infiltrés par un nouvel appareil d’écoute GSM indétectable, capable de traquer et écouter les conversations téléphoniques dans un rayon de deux kilomètres.

Ce système, qui peut être déployé n’importe où, place pratiquement tout le monde sous surveillance. "Nous pouvons creuser dans la vie de chacun", souligne un agent des renseignements interrogé par Outlook. Car en l'absence légale d'un mécanisme de surveillance des services de renseignement indiens, très peu de contrôle est exercé par les dirigeants politiques, parlementaires ou même issus de la bureaucratie.

Digvijay Singh, questionné par Outlook, a laissé éclater sa surprise quand le magazine lui a demandé de commenter l’affaire. "Je pense que c’est vraiment dérangeant. Je suis très surpris d’apprendre que le gouvernement a espionné des leaders politiques. C’est illégal et immoral", a-t-il déclaré. Pour lui, les technologies modernes de surveillance ne devraient être utilisées que pour assurer la sécurité nationale. Il ajoute se demander comment l’organisation d’un tel réseau d’espionnage a pu être mis en place sous le gouvernement du Premier ministre actuel, Manmohan Singh.

Pour le moment, le ministre de l'intérieur P. Chidambaram nie toute activité d'espionnage de la part du gouvernement. Néanmoins, les membres de l'opposition demandent qu'une commission d'enquête parlementaire soit immédiatement mise en place, pour sonder cette affaire. L.K Advani, leader du principal parti d'opposition, le Bharatiya Janata Party (BJP), l'a décrite comme étant "extrêmement sérieuse" dans le quotidien The Hindu, demandant qu'une loi soit votée pour empêcher le gouvernement d'abuser de son autorité et d'envahir la vie privée de citoyens ordinaires.

Manmohan Singh n'a pas encore réagi au rapport, mais cela ne saurait tarder. Les partis d'opposition ont en effet annoncé exiger une déclaration du Premier ministre sur la question, qui devrait intervenir dans l'après-midi.

Publié sur Aujourd'hui l'Inde (http://www.aujourdhuilinde.com/)